Vie et mort
S'il y a une certitude commune à tous les êtres vivants c'est bien celle de la mort. Les hommes ont pourtant tendance à l'occulter. Notre société va dans ce sens, tout est fait pour promouvoir une "éternelle" jeunesse apparente, cacher la vieillesse, espérer de ne jamais mourir. Rarement la mort est mise en avant et quand c’est le cas c’est la mort spectacle, celle qui attire grâce aux catastrophes naturelles ou accidentelles le téléspectateur ou le lecteur, elle devient un moyen de gagner de l’argent. Nous vivons dans l'insouciance et l'illusion d'une vie qui ne finira pas. Nous parlons de la mort comme d'une chose extérieure qui, d'une certaine façon, ne nous concerne pas.
Le visage que nous lui donnons est celui des autres, pas le notre!
Pourtant nos doutes, nos craintes, prennent racine en elle. Nous sentons bien que nos questions fondamentales tournent autour d'elle. Quel sens lui donner?
Si nous la considérons sans signification métaphysique cela équivaut à accepter "l'absurdité" d'une vie purement matérielle ne débouchant sur rien d'autre que le néant. Pourquoi pas? On peut tout croire mais un peu de travail intérieur rend impossible de penser que la mort n'a d'autre sens que la fin de la vie. Au-delà même de ce qu'il y a après elle, il faut s'interroger sur la raison du mystère qui l'entoure.
Ignorance, peur
incoercible ou mystère voulu?
Si
nous retenons la dernière proposition, ce mystère pourrait être le
sens caché de toutes vies.
Prostituée ou
Grande Initiatrice?
La
mort tient une place centrale dans le Yoga. Elle est présente
dans les postures ou la respiration. L'attitude du Yogi immobile,
sans respiration ni pensées, en est une imitation.
Shavâsana (allongé sur le dos, les paumes de mains vers le haut, les
pieds écartés et les yeux fermés) est la posture du cadavre.
Mritâsana celle de l'homme mort.
Ujjâyin est la respiration du vainqueur de la mort, etc.
Les textes font
également maintes allusions à la mort, le plus souvent vaincue.
Amrita est le nectar d'immortalité présent dans chacun. Le Yoga
propose par ses techniques des moyens pour ne plus le "gaspiller".
Ainsi Viparita-karani-mudrâ est réputée pour conférer la jeunesse
éternelle. Faut-il prendre tout cela au pied de la lettre? Voit-on
des Yogi âgés de plusieurs centaines d'années? Les avis sont
partagés; n'oublions pas qu'il n'y a pas de fumée sans feu. En tout
état de cause cette symbolique de la mort peut être interprétée de
différentes façons.
Elle est dans le Yoga, avec la sexualité, un symbole majeur de transcendance, de changement d'état. Elle est aussi synonyme de libération. Libération finale et libération dans la vie présente de ce qui asservi l'humain. Ce n'est pas une putain qui cherche à nous perdre mais une Danseuse Sacrée qui veut nous initier aux mystères de la vie. La mort sera considérée à deux niveaux: la mort "définitive" du corps et la mort expérimentale durant la vie. La première est naturelle à tous les êtres, choisie ou non elle est le lot commun. La deuxième est, en général, réservée aux voies traditionnelles, c'est une expérience, un acte volontaire.
Le Yoga propose dans ses techniques d'appréhender consciemment la mort durant la vie, particulièrement durant les expériences d'immobilité, d'arrêt de souffle et de pensées. Il ne s'agit bien sûr pas de la mort physique irréversible, mais d'un vécu, d'un repérage de cette état si proche du réel qu'il en donne une saveur réelle par les symptômes et l'intensité produits. Nous atteignons, par une expérience analogique, une réalité dont le suc de la conscience et de l'initiation peut être extrait. Il y aura alors matière à connaissance directe, vision claire et démystification.
Ce contact avec la mort ou son échos rend à l'être humain sa liberté.
Qui peut rester le même après avoir connu la mort que ce soit par une technique ou simplement par un accident?
Notre alliée
Tout au
long de notre vie la mort est notre meilleur allié. Tant que ce
n'est pas "notre heure" c'est elle qui nous protège en vers et
contre tout. Ses bons offices ne doivent pas s'arrêter là. Sa
signification profonde est de nous apprendre durant notre vie qui
elle est pour nous préparer à la vivre le moment venu ou choisi. La
tradition dit que la mort est un passage dans lequel chacun peut
connaître la libération.
La dernière pensée
A la mort
physique les éléments constitutifs de l'homme se résorbent les uns
dans les autres: la terre dans l'eau, l'eau dans le feu, le feu dans
l'air et l'air dans l'espace. Chaque élément étant relié à une
faculté sensorielle il en va de même à leur niveau. L'odorat
se résorbe dans le goût, le goût dans la vue, la vue dans le toucher
et le toucher dans l'audition. C'est pour cela que le dernier
contact avec un mourant se fait à travers le son, ou la parole.
Quand tout est résorbé, la conscience se trouve face à l'absolu. A
cet instant l'expérience globale de la vie sera décisive. Celui qui
n'aura pas peur se laissera aller dans la lumière et atteindra un
certain plan de libération. Celui qui aura peur "reculera" et
continuera son chemin dans le labyrinthe des vies et des morts.
Ainsi la dernière pensée résume-t-elle toute la vie. Elle sera lumineuse et paisible si notre vie le fut aussi.
Connaître la mort pour vivre
sans angoisse
On devine
l'importance que prend "l'expérience artificielle de la mort" dans
une optique traditionnelle. Se rassurer par des éléments
extérieurs tels que le progrès de la médecine, ou d'autres choses
dans ce genre n'est pas porteur de connaissance. Pas plus que de
bâtir des châteaux de carte dans lesquels se réfugier avec nos
certitudes ou notre ignorance. Devant l'inévitable chacun a le
devoir de se préparer ou de s'aguerrir. Il est puéril de fuir. Il
faut chercher la confrontation et la sérénité. Face à la mort il ne
s'agit de se faire des idées ou d'avoir des certitudes
intellectuelles mais de l'appréhender dans le silence.
Toute démarche spirituelle, toute quête initiatique peut nous conduire sur le chemin d'une vision supérieure dans laquelle la mort ne nous apparaît plus comme un horrible épouvantail mais comme une belle danseuse. Il nous faut apprendre à grandir devant elle, à devenir adulte et libre. Nous finirons bien sûr dans ses bras mais avant cela nous avons tout loisir de danser devant elle, de danser pour elle, enfin de danser avec elle. Il ne s'agit pas d'une danse macabre mais d'un éclat de rire foudroyant se jouant de la destinée et nous donnant une indicible légèreté dans cette vie présente car on a surtout peur de l’inconnu.
Christian Tikhomiroff