Le prânâyâma Cliquez sur les images pour agrandir
L’art de la respiration, le prânâyâma ou mâtrâ-yoga (le yoga du rythme), tient une place centrale dans le yoga, comme dans la majorité des voies personnelles et spirituelles orientales ou asiatiques à l’instar du bouddhisme, du zen, du taï chi et même de certains arts martiaux comme le kung fu, voire l’aïkido. Le mythe raconte que les dieux donnèrent cette science à l’être humain comme l’une des clés de sa liberté, celle-ci lui permettant d’ouvrir la porte qui donne sur ses plus belles potentialités. Selon la métaphysique tantrique l’Univers est organisé par le svara, le grand souffle cosmique, il en est la pure énergie qui détermine son devenir. Au gré des fluctuations du svara, l’univers actualise et déploie l’ensemble de ses potentialités, créant et défaisant ainsi les constellations, les mondes et les êtres vivants, pénétrant et reliant entre elles chaque partie de cette sublime et infinie symphonie cosmique. Le svara est l’essence causale de la matrice universelle engendrant et régissant la loi de cause et d’effet, assurant de proche en proche et de loin en loin l’expansion inévitable de la pensée « divine » et faisant danser l’énergie dans son mouvement de création matérielle toujours renouvelée et identique à la fois. De ce point de vue, le svara apparaît comme le lien, l’intermédiaire, « le gestionnaire » entre la pensée et l’énergie cosmique, et forcément de sa création : le plan matériel de l’univers. Cette vision du souffle universel, même si elle est ornée différemment selon les traditions ou les époques est largement répandue. Pour revenir à l’humanité, l’idée d’une analogie « infaillible » entre macrocosme et microcosme, entre l’Univers et l’être humain, est centrale dans le tantrisme et essentielle car c’est sur elle que repose sa méthode - le yoga - et ses textes techniques, philosophiques et spirituels - les tantra -. De même que l’univers a son souffle vital le svara et sa science le svara-yoga, de même l’être humain a-t-il également son souffle vital le prâna et sa science du souffle vitale, le prânâyâma. Le prâna rempli dans le microcosme humain les mêmes fonctions que le svara dans le macroscosme, il a les mêmes attributions, les mêmes pouvoirs. Pour le yoga tantrique, le destin humain se trame dans son souffle, qu’il s’agisse de ses pensées, de ses énergies, de son corps (donc de sa santé) et des évènements qui font sa vie (Goraksha paddhati chapitre II, 10 : « Ainsi prânâyâma est un feu alimenté par la karma personnel. C’est pourquoi les yogin disent que c’est un pont permettant de traverser l’existence »). La respiration est au cœur de l’aventure humaine, au centre du karma individuel. L’extrait suivant du Goraksha paddhati chapitre 1 (texte du hatha-yoga datant du 15ème siècle environ) illustre une partie de ce qui précède : 90) Tant que l’air est en mouvement, l’énergie l’est aussi. Si l’air s’arrête l’énergie aussi. Si le yogin atteint la véritable immobilité, le souffle suivra. 91) Tant que le souffle reste dans le corps l’âme y reste aussi. Le départ du souffle c’est la mort. C’est pourquoi on doit immobiliser le souffle. 92) Tant que le souffle est immobile dans le corps, la pensée n’est plus troublée. Aussi longtemps que le regard intérieur voit la lumière du chakra ajna, pourquoi craindre la mort ? 93) C’est parce que Brahma, les yogin et les sages avaient peur de la mort qu’ils se sont tous mis à pratiquer prânâyâma. C’est pourquoi il faut immobiliser le souffle.
94)
Le souffle inspiré et expiré que l’on nomme ham /sa emprunte la voie
externe qui va jusqu’à 36 doigts des narines gauche et droite:
c’est prâna.
Implications du souffle
Les bases du prânâyâma
Méthodologie 1) Passage de l’air. Inspiration et expiration se font le plus souvent par les deux narines ou en alternance par la gauche ou (et) la droite. Plus rarement par la bouche dans les souffles de bases, mais plus loin dans la pratique cela change. 2) Situation physiologique du souffle. La part importante de la respiration doit être gérée par le ventre. Cela est vrai surtout au début de l’apprentissage, plus tard le souffle devient tellement subtil que le ventre et la poitrine ne bougent plus, juste un petit mouvement entre cou et fontanelle… 3) Le rythme. D’abord, et c’est sans doute le plus important, la valeur de temps pour le prânâyâma n’est pas la seconde , c’est le mâtrâ qui correspond au temps qu’il faut pour faire le tour du genou avec le majeur et claquer les doigts, soit entre une seconde et demi et deux secondes. A chacun son temps! Dans un monde où tout est réglé par la seconde se régler sur le mâtrâ revient à se soustraire en partie des influences du mental collectif, de celui de l’espèce, un premier pas vers un peu de liberté. Ensuite Les rythmes sont multiples mais la base c’est l’expiration plus longue (souvent le double) que l’inspiration. Les autres rythmes sont l’égalisé (samavritti) dans lequel les quatre temps sont égaux et le non égalisé (visamavritti) qui se divise en deux : a) 1 temps d’inspiration, quatre temps de rétention à poumons pleins, deux temps d’expiration, pose à vide. b) un temps d’inspiration, pose à plein, deux temps d’expiration, quatre temps de rétention à poumons vides. Il y a également les rythmes rapides bhastrika et kapalabathi (quand ce dernier est considéré comme un prânâyâma). 4) Les « ingrédients » qui accompagnent prânâyâma. a) Les drishti (fixations oculaires) : le plus souvent les yeux sont fermés convergeant soit sur le bout du nez (nasagradrishti), soit entre les yeux (brhumadyadrishti), soit en haut (shambavidrishti). Parfois ils peuvent être fixé à gauche (vamadrishti), à droite (dkashinadrishti) ou alterné entre gauche et droite… mais jamais il y a laisser aller et non conscience. b) Position de la langue. Les trois plus communes sont : jhivabandha, la langue est allongée et pressée sur la voûte du palais la pointe reposant à la racine des dents du haut ou simplement prise (le bout) entre les dents. Khecharimudrâ, la langue est retournée en haut et en arrière vers la partie molle du palais la pointe portée loin dans le vide (si possible…). Kakimudrâ, la langue, à l’intérieur ou à l’extérieur selon les prânâyâma est enroulée sur la longueur pour former une sorte de tuyau. c) Les bandha. On trouve en permanence mûlâbandha, la contraction de mûlâdhâra (l’anus) et par moment ashvinimudra celle de gudadhara (le rectum). Il y a également selon les souffles (généralement les retentions) uddyanabandha (contraction du ventre) et jalandharabandha (contraction de la gorge). d) Frottements. Selon les prânâyâma, ou les écoles, le souffle est soit sonore, bruit produit par le frottement de l’air au fond de la gorge ou dans les fosses nasales, soit complètement silencieux. On trouve également les sifflements produits par la bouche comme dans shitalî ou sitkarin. e) La posture. Traditionnellement les deux « meilleures » assises sont padmasana, le lotus, bhadrasana et vajrasana le diamant. f) Hastamudra, position des mains. Il y a une multitude de mudrâ possibles comme jnanamudrâ le plus connu (quand pouce et index sont joints, les autres doigts tendus, les mains tournées vers le haut, voir photos).
Voilà pour le minimum, le cadre
d’un article ne permettant bien sûr pas un apprentissage
sérieux, il convient de trouver un instructeur compétent.
Prânâyâma et médecine personnelle « S’il boit l’air frais avec la bouche, sa langue ayant pris le geste de kakî, il équilibre prâna et apâna. Ceci lui permet de rester jeune ». « Pour celui qui arrivera à boire prâna avec sa langue tournée vers la racine du palais, il y aura suppression des maladies (obstacles) au bout de 6 mois ».
La respiration, dans le yoga comme dans d’autres disciplines, gérant l’équilibre physiologique, énergétique et mental, prend une part conséquente dans la santé. Celle-ci dépend d’une bonne harmonie entre les énergies et le mental. Pourquoi certaines personnes sont-elles vulnérables à tel virus ou microbe alors que d’autre ne le sont pas. La médecine contemporaine dit que cela vient de l’hérédité, du système immunitaire, des hygiènes de vie et alimentaire, etc. Sans pour autant nier cela, le yoga pense qu’il s’agit plus encore du jeu des énergies. Ainsi par le souffle est-il possible de stimuler ses énergies et par voie de conséquence de stimuler le système immunitaire. Le prânâyâma facilite l’assimilation et l’élimination des éléments physiques et des éléments subtils (ou énergétiques). Faire régulièrement des respirations alternées, des bhastrika, des non-souffles a une incidence sur les tissus, la composition du sang, jusque dans les cellules. L’expérience montre que prânâyâma élimine les surcharges pondérales, les stress, qu’il produit de très bons résultats dans les maladies pulmonaires et allergiques comme l’asthme, les maladies liées à une atteinte du système nerveux, certaines scléroses en plaque par exemple, qu’il facilité l’assimilation et l’élimination réglant des problématiques comme la constipation, qu’il change la qualité du sommeil, etc. La liste pourrait être longue, et s’il est vrai qu’il n’est pas une panacée universelle il est aussi vrai qu’il est un allié fiable de la santé.
Prânâyâma et alchimie spirituelle « La concentration donne l’immobilité et la méditation des états lumineux de conscience. Parce que le filet du karma positif ou négatif est neutralisé, le samâdhi permet d’atteindre l’éveil ». Dans la recherche intérieure, c’est lui qui, sans aucun doute, permet au yogi de trouver les chemins secrets de sa spiritualité, il donne l’énergie et la force mentale nécessaires à cette aventure. Le tantrisme pressant en lui un raccourci qui mène rapidement à l’immobilité, au non-mental et à la conscience aigue de l’instant présent, autant d’éléments accessibles également par la simple méditation ou le « rien-faire » mais en beaucoup plus de temps. Il est présenté dans les tantra comme le « moteur » de la science spirituelle de notre époque, le kaliyuga. L’alchimie qu’il provoque entre souffles grossiers et souffles subtils entraîne une réaction identique dans le corps, l’énergie et le mental. Il permet de sortir des conditionnements de l’espèce, du mental collectif et du karma personnel, redonnant grâce à cela une liberté et une autonomie conforme aux besoins de l’aventurier du dedans. Chaque individu est régit par une paire inévitable, le personnel et l’espèce, qu’il s’agisse du karma, du mental, ou de toutes autres formes d’hérédités. Le pashu, celui qui fait partie du troupeau, subit sans pouvoir s’en défendre ces paires. Le virâ, le héro, grâce au prânâyâma (ou toute autre technique de souffle), trouve les moyens de s’émanciper de ces paires. C’est là tout l’enjeu d’une vie, d’une recherche spirituelle: subir ou être libre (au moins essayer). Les tantra disent que la respiration est un moyen simple et terriblement efficace pour accéder à cette liberté, ils donnent les ingrédients et le mode d’emploi, la responsabilité personnel étant de faire ou de ne pas faire.
Christian Tikhomiroff
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