Kula Arnava Tantra
Le kularnava tantra se compose de 17 chapitres pour un total de 2058 versets. Nous en proposons ici la traduction du premier chapitre et de ses 121 versets. Ce tantra est l’un des textes fondateurs de l’école Kaula. Kula arnava tantra signifie « Le tantra de l’océan de connaissance kula ». Comme dans beaucoup de tantra nous assistons à un dialogue entre Shakti, aux divers noms et Shiva, également aux divers noms. Ici Shiva va délivrer à Shakti la globalité des enseignements qui représentent le nectar (océan) de connaissance de la voie Kaula. Ce premier chapitre traite de la condition humaine qui est présentée comme une opportunité parmi la multiplicité des incarnations possibles. S’il indique que cette incarnation est une vraie chance pour l’individu il dit aussi que malheureusement celui-ci non seulement n’en a pas conscience mais qu’il gaspille la plupart du temps cette chance en se laissant aller à sa nature animale. Shiva indique à Shakti les souffrances, les attachements, les croyances, les illusions inhérentes à cette condition humaine quant elle n’est pas tournée vers la recherche de la Réalité suprême. Il indique également comment les plus vertueux et les plus érudits sont dans la confusion intellectuelle dans leur recherche de la Vérité et qu’en fin de compte seul le jnana, la connaissance, mène à la libération de l’âme assouvie. On notera avec plaisir dans ce chapitre l’humour et la sagacité dont fait preuve Shiva sur la nature humaine. Le deuxième chapitre expose la compatibilité de yoga et bhoga, de l’ascèse et de la jouissance, alors même que la plupart des exposés sur le yoga met surtout en avant leur incompatibilité. Le troisième chapitre expose le mantra Hamsah qui est en même temps le souffle de l’univers et le souffle de l’individu. Le quatrième chapitre expose le mahashodhananyasa. Le cinquième chapitre décrit ce que l’on appelle la voie inverse dans laquelle on apprend comment utiliser le vin dans la cittashodhanasadhana et comment le succès spirituel s’obtient avec les choses même qui conduisent à la ruine l’être humain ordinaire. Le sixième chapitre décrit les pratiques de dévotion à travers les rites et les yantra. Le septième chapitre évoque les 36 tattva et l’ivresse du yoga : « boire et boire encore le yoga ». Le huitième chapitre décrit les chakra et les différent stades de la conscience en eux. Le neuvième chapitre s’occupe du yoga et de l’identité de Shiva et du yogi. Il démystifie également l’image d’épinale que l’on a du yogi. « Le kula-yogi se conduit de sorte que les autres le raille, le réprouve, l’insulte et l’évite ». « Chère Déesse je ne vis pas sur le mont Kailash, ni sur le mont Méru ni sur le Mandara, mais uniquement où se trouvent les connaisseurs de la voie Kula ». Le dixième chapitre parle des rituels spéciaux à certains jours. Le onzième parle des rituels nommés « chakra ». Le douzième chapitre expose le paduka mantra, le mantra de la sandale … mais pas n’importe laquelle, celle du Maître ! Le treizième chapitre décrit la relation du disciple et du Maître. Le quatorzième chapitre décrit les qualité attendues de l’un et de l’autre. Le quinzième chapitre expose la science des mantra et du prânâyâma. Le seizième chapitre expose l’aspect magique des mantra. Le dix-septième chapitre expose la méditation et la contemplation des différents noms donnés aux Maîtres. Ce texte n’est évidemment pas des plus simples et il s’adresse à des pratiquants intensément investis dans la recherche personnelle. Pour les autres des textes plus simples comme les Upanishad du yoga, la gheranda samhita, le hatha-yoga-pradipika, le goraksha-satakam, conviennent mieux. Chapitre I
1) Il y a longtemps alors que Shiva, la Conscience Suprême en éternelle béatitude, le Dieu des dieux, le créateur de l’Univers, était assis au sommet du Mont Kailash, la Déesse Parvatî lui demanda. 2) Maître, Dieu des dieux, Etre de connaissance que l’on ne peut percevoir que par la dévotion, Libérateur de ceux qui sont en Toi, Maître de l’énergie (Kula) Maître Suprême, Océan du Nectar de Compassion, Source des pratiques sacrées 3) Il existe une infinité de créatures vivantes dans des myriades de formes physiques enfermées sans fin dans le cycle de la souffrance issu des morts et des naissances pour qui il n’existe pas d’espoir de libération, 4) Celles-ci ne connaissent pas le bonheur car elles sont emprisonnées dans la souffrance, 5) Maître, dis-moi comment elles peuvent atteindre la libération.
6)
Shiva
répond : 7) La seule Réalité est la Conscience, elle est unique, essence de toutes les connaissances et de tous les pouvoirs, libre de tout, entièrement pure et sans second, on la nomme Parabrahman. 8) La Conscience est Sat-cit-ananda, brillant de sa propre lumière, sans commencement ni fin, sans attributs, sans changements, plus immense que le plus immense, sans qualités. Les êtres vivants dans leur infinité sont issus d’Elle mais à cause de l’ignorance consubstantielle ils en sont séparés comme la lumière qui peut paraître séparée du feu dès qu’elle jailli de lui, 9) C’est parce qu’elles naissent que les créatures entrent dans un cercle éternel d’actions et restent séparées de Shiva, 10) Elles sont conditionnées par le joies issues de leurs actions justes et par les douleurs issues de leurs erreurs, 11) Lorsqu’elles prennent un corps, un lieu et une destinée correspondant à leur espèce et conforme à leurs désirs et à leur actes, ces créatures liées par l’ignorance et influencées par les circonstances du moment passent sans interruption d’une naissance à l’autre. 12) L’individu (le jiva) est soumis à de nombreuses naissances et traverse sur terre diverses formes de vie. Il y a les êtres immobiles qui naissent de la terre, les êtres mobiles qui naissent des humeurs, ceux qui naissent des œufs tels les oiseaux, ceux qui naissent de la matrice tels les mammifères, les humains à divers niveaux d’évolution, les dieux et les libérés. 13) Parmi les 8 400 000 espèces vivantes c’est le corps humain qui est le plus évolué parce qu’avec ce corps il est possible d’atteindre l’essence de la connaissance Chère Parvatî, 14) Cette connaissance n’est pas accessible si l’on n’a pas pris forme humaine, 15) Lorsqu’un être humain obtient cette connaissance grâce à sa propre puissance et grâce à l’accumulation suffisante d’actions justes, même s’il a transmigré des centaines de milliers de fois il peut atteindre la libération. 16) Un individu qui a obtenu la forme humaine, qui est l’instrument permettant d’atteindre la libération, qui ne libère pas son Soi commet la plus grand erreur. 17) Celui qui après avoir obtenu une naissance supérieure douée d’un complexe merveilleux d’organes sensoriels et moteurs n’arrive pas à s’en servir pour s’élever n’a rien compris à ce qui est essentiel pour lui et commet un vrai suicide. 18) Aucune créature dans n’importe quelle forme physique excepté l’être humain ne peut atteindre la libération. C’est pour cette raison que lorsqu’on a eu la chance de recevoir un corps humain il faut se consacrer aux actions justes (celles qui permettent d’atteindre la libération). 19) Il faut faire tous les efforts possibles pour protéger son propre Soi. Le Soi est la cause de tout c’est pourquoi il faut le protéger avec un maximum d’attentions. 20) Les richesses et le propriétés, l’argent et les maisons, mérites et démérites peuvent s’obtenir facilement, mais une bonne naissance dans un corps humain sain ne s’obtient pas si souvent. 21) Les humains devraient faire tous leurs efforts pour entretenir leur corps. Il ne faut pas que ce corps soit dégradé par les maladies. 22) Ainsi lorsqu’on a un corps il faut vivre selon les règles du dharma. Le dharma conduit à la connaissance, la connaissance conduit à la méditation, la méditation au yoga qui, s’il est gardé secret, conduit à la libération. 23) Si ce n’est pas l’individu lui-même qui veut trouver la façon de libérer le Soi, qui d’autre pourra lui montrer les moyens qui mènent à la libération. 24) De la même façon celui qui dans ce monde ne veut pas se soigner de terribles maladies que pourra-t-il faire pour se guérir dans un endroit où il n’y aura aucun soin possible. 25) Celui qui commence à creuser un puit alors que sa maison est déjà en flamme est fou. C’est pourquoi tant que le corps est vivant il faut s’efforcer d’atteindre la libération et se consacrer sincèrement à la recherche de la Realité. 26) Il faut se rappeler que le corps n’est pas éternel. La vieillesse avance furtivement comme un tigre, le temps restant diminue comme l’eau dans un vase cassé, la maladie frappe comme un ennemi. 27) Il faut donc prendre la bonne voie bien avant que le corps ne perde sa vigueur et que l’adversité ne s’abatte sur soi. 28) A cause de la multitude des activités accomplies dans le monde le temps s’en va sans que l’individu s’en aperçoive. Pris entre les plaisirs et les souffrances, le jiva n’est pas conscient de ce qu’il doit accomplir. 29) Enivré par le vin de l’ignorance, il ne réalise même pas son erreur en voyant pourtant que le monde est rempli d’êtres passifs, souffrants, malades, malheureux et accablés par l’infortune. 30) Il ne réalise pas que la richesse est une illusion et que la jeunesse est éphémère comme une fleur. La vie apparaît et disparaît comme un éclair. Comment celui qui sait cela peut-il être heureux. 31) Même si l’on vit cent ans cela est court parce que l’on passe la moitié de son temps à dormir et que l’autre moitié est stérile passée dans les amusements de l’enfance, dans la maladie, dans la souffrance, dans l’insatisfaction, dans vieillesse et d’autres choses du même genre. 32) L’humain est inactif quand il devrait être actif, il dort quand il devrai se tenir éveillé, il se comporte avec arrogance quand il devrait être humble, alors pour quelle raison la mort ne le prendrait-elle pas. 33) La vie du corps est brève comme une bulle d’eau. Se tenant en soi comme un oiseau en cage comment le jiva pourrait vivre sans peur dans un monde hostile et éphémère. 34) Le jiva considère comme bon ce qui ne l’est pas, il considère permanent ce qui est transitoire, utile ce qui ne l’est pas et ne s’aperçoit même pas qu’il va mourir. 35) Dévi, abusé par Ta Maya l’être humain ne regarde pas ce qu’il voit, n’entend pas ce qu’il écoute, ne comprend pas ce qu’il lit. 36) Dans ce monde, océan insondable du temps, le jiva ne s’aperçoit pas de l’approche furtive des crocodiles des maladies, de la vieillesse et de la mort. 37) Celui-ci ne réalise pas qu’à chaque instant qui passe son corps perd sa force et que graduellement il se décompose comme un vase d’argile non cuit plongé dans l’eau. 38) On peut entendre le passage du vent dans une haie ou y voir des morceaux de l’espace. Si l’on construit une digue on peut retenir l’eau mais d’aucune manière on ne peut arrêter le cours de la vie. 39) Dévi, la terre se dessèche, le mont Meru s’effrite, l’eau de l’océan s’évapore, que dire alors du corps. 40) Les mâchoires du temps dévorent l’humain alors même qu’il est en train de bavasser sur sa femme, sur ses enfants, sur sa richesse, sur ses amis, 41) La mort le dévore alors qu’il est encore en train de penser à ce qu’il fait, à ce qu’il doit faire et à tout ce qu’il aurait dû faire. 42) C’est pourquoi il faut faire aujourd’hui même ce qui aurait pu être fait demain, faire le matin ce qui aurait pu être fait l’après-midi car la mort ne s’occupe pas de savoir ce qui a été fait ou ce qui ne l’a pas été. 43) Même l’homme sage ne voit pas que la mort s’avance subrepticement en même temps que la vieillesse accompagnée de son lot de maladies terribles. 44) Transpercé par la flèche du désir, baigné dans l’océan des plaisirs sensoriels, cuit par le feu de ses sympathies et de ses antipathies, l’humain est le délicieux déjeuner de la mort. 45) La mort dévore tout, les nouveaux-nés, les enfants, les jeunes, les vieux, c’est la règle qui gouverne le monde. 46) Même les divinités comme Brahma, Vishnu, Mahesha sont mortelles ainsi que les multiples êtres invisibles. C’est pour cela que l’humain doit tendre tous ses efforts pour progresser dans l’état qui est le sien. 47) Les tentatives pour obtenir par n’importe quel moyen des avantages, désirer la richesse ou la compagnie d’autrui comme le fait de ne pas accomplir ses devoirs héréditaires mènent tous les humains à leur ruine. 48) De la même façon le fait de ne pas appliquer les enseignements reçus, la déloyauté et la confrontation avec celui qui les a donné, le manque de contrôle dans les désirs des sens diminuent la durée de la vie. 49) Quelle que soit la cause qui mettra fin à la vie, une maladie, un malheur, un poison, une arme, un serpent ou un animal féroce comme le lion, de toutes les façons la mort viendra. 50) Comme un brin d’herbe flottant sur l’eau, le Soi du jiva passe d’un corps physique à un autre de la même façon que quand on passe d’une maison à une autre laissant la vieille derrière soi. 51) Comme dans le même corps le jiva passe de l’enfance à l’âge adulte puis de la vieillesse à la mort, il fait pareil en passant d’un corps à l’autre à l’image de la maison dès qu’il a trouvé la suivante. 52) Selon ses actes l’humain expérimente plaisir ou douleur. L’ignorant qui n’a pas conscience des autres plans de l’univers passe sans fin de la naissance à la mort et de la mort à la naissance. 53) C’est ainsi qu’il recueille dans la naissance suivante les fruits des actions accomplies dans cette vie, à l’instar de l’arbre dont les racines se nourrissent d’eau et qui donne des fruits sur ses plus hautes branches. 54) Les fruits que les humains récoltent de l’arbre de l’ignorance sont la misère, la souffrance, la maladie, l’esclavage et la dépendance. 55) La seule voie qui libère l’individu de ce que je viens d’énoncer c’est l’indifférence face aux désirs et aux attachements. Toutes les souffrances naissent de l’attachement. Il n’y a que le non-attachement et l’amour de la connaissance pure qui rende heureux. Quant on sait que même les sages sont sujets à l’attachement on comprend combien l’être humain l’est aussi. 56) Il faut renoncer à l’attachement et en même temps aux désirs. Y renoncer totalement, pas seulement avec son mental mais avec tout son être. Si par faiblesse on n’y parvient pas il faut recourir à la compagnie des sages, la compagnie des sages et des saints guéri de toutes les faiblesses. 57) La compagnie des saints et la connaissance discriminative aiguisent le regard intérieur pour rendre la vision pure. Celui qui en est privé est vraiment aveugle, il ne pourra prendre que le mauvais chemin. 58) Tant que le jiva est tenu dans un mental attaché aux réalisations mondaines son cœur est tourmenté par la souffrance. 59) Kuleshvarî c’est pourquoi le moment venu le jiva quitte le corps, alors les attachements à la famille, à la mère, au père, au fils ne servent plus à rien. 60) Cette façon de vivre dans le monde est la source de tous les malheurs et ne donne que de la souffrance. Le renoncement (aux objets du monde) donne le bonheur. Il n’y a pas d’autres voies. 61) L’attachement au monde est à l’origine de chaque souffrance et de chaque malheur, c’est la cause de toutes les erreurs. Il est donc sage d’y renoncer. 62) L’humain qui est attaché aux objets du monde se ligote lui-même alors qu’il n’a pas de corde. Sa vie est mélangée à un puissant poison qui va le détruire sans qu’il y ait besoin d’armes. 63) Pour l’être humain la vie est donc souffrance à la naissance, dans l’âge mur et à la mort. Celui qui veut atteindre le bonheur doit renoncer au monde pour chercher la vérité. 64) Même celui qui est lié par une chaîne pleine d’épines peut devenir libre alors que celui qui est attaché aux plaisirs et aux richesses ne pourra jamais être libre. 65) Ceux qui sont totalement pris dans les liens familiaux se perdent comme un vase non cuit plongé dans l’eau quel que soit le savoir et les bonnes dispositions qu’ils puissent avoir. 66) Les organes des sens du corps sont comme des voleurs qui se nourrissent des objets extérieurs et causent la ruine de l’être humain car ils produisent en permanence des désirs inassouvis. 67) De la même façon que le poisson affamé ne voit pas le hameçon, ainsi font ceux qui courent après le bonheur ne voyant pas le présence de Yama qui est la mort elle-même. 68) Très Chère, celui qui n’est pas conscient que tout n’est que pertes et gains, qui parcoure encore le chemin de l’erreur, qui est seulement intéressé par remplir son ventre ne sait pas encore que c’est un avant goût de l’enfer. 69) Dormir, boire, manger, se reproduire sont autant de comportements communs à tous les animaux. Mais seul l’être humain possède la connaissance et ne pas l’utiliser revient à n’être qu’un animal. 70) Tous les matins les être humains défèquent et urinent, à midi ils ont faim et soif et le soir ils font l’amour et dorment. 71) Lorsqu’ils sont englués dans l’ignorance tous les individus n’ont d’autres choix que de satisfaire les besoins de leur corps et de ceux de leurs femmes ou de leur mari et ils sont assujettis au cycle des naissances et des morts. 72) En permanence obligés d’accomplir les devoirs liés à leur naissance et à leurs désirs les humains ne voient pas la Réalité Suprême. Voilà pourquoi Parvatî meurent ces fous. 73) Certains sont engagés dans les rituels et les austérités, d’autres accomplissent sacrifices et dévotions, mais tous sont noyés dans une profonde ignorance et ne connaissant pas leur propre soi ils se leurrent eux-mêmes et leurrent les autres. 74) Uniquement préoccupé par l’apparence et la réputation ces humains prennent plaisir à faire des rituels. La répétition des mantra et des sacrifices élaborés les abusent. 75) Illusionnés par Ta Maya ces fous pensent pouvoir réaliser l’Absolu avec les austérités et les mortifications corporelles. 76) Ma Belle Déesse, si les ignorants pouvaient obtenir la libération simplement en torturant leur corps, le serpent devrait être retrouvé mort après l’attaque d’une fourmilière. 77) Il faut se méfier des faux Maîtres dont le seul but est d’accumuler des richesses et des vêtement fastueux, ils se font passer pour des sages pour tromper les autres. 78) Ils affirment connaître le Brahman alors qu’ils sont essentiellement attachés aux plaisirs mondains. Ces gens-là qui sont déficients dans leurs actes et dans leurs connaissances doivent être évités. 79) On voit des ânes et d’autres animaux pour qui la ville et la forêt sont la même chose et qui se promènent tout nu sans souci. Deviennent-ils des yogi grâce à cela ? 80) Si les humains pouvaient atteindre la libération en se barbouillant de cendres et de boue, pour quoi les paysans qui vivent dans la boue et dans la cendre ne sont-ils pas libérés ? 81) Certains habitants de la forêt comme les cerfs se nourrissent exclusivement d’herbe, de feuilles et d’eau. Deviennent-ils des yogi pour autant ? 82) Grenouilles et poissons passent leur vie dans des fleuves similaires au Gange. Font-ils pour autant l’acquisition de mérites spéciaux ? 83) Charmante Déesse les perroquets et les merles sont contents de répéter les paroles sacrées devant tout le monde. Sont-ils pour autant considérés comme de grands sages ? 84) Les pigeons ne mangent que des graines, certains oiseaux ne boivent pas l’eau de source. Sont-ils pour autant des yogi ? 85) Des animaux comme le cochon tolèrent autant le froid de l’hiver que le chaud de l’été et sont capables de manger toutes les sortes de nourriture. Sont-ils pour autant des yogi ? 86) En vérité très Chère Kuleshvarî ces sacrifices et ces privations ne servent qu’à abuser le monde car l’unique moyen permettant d’atteindre la libération est la connaissance directe de la Réalité, c’est-à-dire du divin. 87) Ma Bien Aimée saches que les gens qui restent esclaves de leur animalité ne peuvent pas obtenir la connaissance spirituelle quand bien même seraient-ils experts dans les six darshana. 88) Ils sont à la merci d’énergies périlleuses, noyés dans la mer faite des Veda et des Shastra ils sont la proie des terribles requins qui prennent la forme des disputes et de débats philosophiques. 89) Ces gens ont lu les Veda, les Agama, les Purana mais ils ne connaissent pas la réalité de la Suprême Conscience qui est le seul but de la vie, ils sont embrouillés et jacassent comme des corneilles. 90) Ils tournent le dos au divin la seule réalité à connaître. Ils étudient incessamment et avec avidité les textes sacrés et proclament « Ceci est à connaître », « Ceci est la connaissance », et ainsi de suite. 91) Ils font de belles démonstration de leur connaissance du style, de la syntaxe, de la métrique et des autres artifices rhétoriques dans le domaine des lettres et des sons. Ces idiots sont étourdis, confus et timorés. 92) La Réalité est une chose mais ce que l’on en comprend en est une autre. Une chose est le sens des écritures sacrées une autre est ce que l’on en comprend. 93) Ces humains parlent des plus hauts états de conscience sans ego mais ils n’en n’ont pas l’expérience car leur façon de vivre est totalement différente et même opposée. 94) Certains ne sont que des égoïstes et d’autres n’ont aucun savoir. Ils récitent les Veda et en parlent entre eux mais ils ne connaissent pas la Réalité à l’image de la louche qui ne connaît pas le goût de la soupe qu’elle contient. 95) On peut se parer de fleurs sur la tête mais c’est le nez qui en sent le parfum. De la même façon il y a beaucoup de personnes qui récitent les Veda et les Shastra mais rares sont celles qui vivent en accord avec elles et qui en comprennent l’essence. 96) Elles ignorent que la réalité divine est en soi et elles la cherchent dans les écritures comme le berger qui va chercher la chèvre dans le pré alors qu’elle est déjà dans la bergerie. 97) La connaissance intellectuelle ou verbale n’a aucune utilité pour disperser l’illusion du monde comme le fait de prononcer le mot lumière ne disperse pas l’obscurité. 98) Quand un humain privé de sagesse étudie les textes sacrés il est semblable à un aveugle qui se regarde dans un miroir. Il n’y a que lorsqu’on est dans prajnâ que l’on peut comprendre les Shastra. 99) Les humains renommés pour leur érudition , pour leur noblesse ou pour leur courage discutent sans cesse sur les différentes apparences que peut prendre la réalité divine à travers telle ou telle forme, 100) Mais à quoi sert d’en parler si l’on est incapable de la comprendre et de la réaliser directement ? Ces individus bêtement enfermés dans l’étude des Shastra sont loin de la vérité. 101) Ils aiment entendre des phrases du genre « ceci est la connaissance, c’est ce qu’il faut atteindre ». Très Chère, ces humains pourront bien transmigrer des milliers d’années en écoutant la sagesse des Shastra ils n’en réaliseront jamais l’essence. 102) Les Shahstra sont en nombre infini, la durée de la vie est limitée et les obstacles y sont des millions. C’est pour cela que le sage doit aller directement à l’essence des textes sacrés comme le cygne qui sait faire la différence entre le lait et l’eau. 103) Ainsi après avoir reconnu et expérimenté l’essence de la Réalité contenue dans les Shastra, le sage ne devrait plus s’en occuper à l’image de celui qui ayant reconnu le grain met de coté la bale. 104) De même que celui qui est comblé par le nectar ne recherche plus d’autre nourriture celui qui connaît l’essence de la Réalité n’a plus besoin de la connaissance des Shastra. 105) Très Chère, la libération ne s’obtient pas par la récitation des Veda ni par l’étude des Shastra, Il n’y a que le jnana et rien d’autre qui puisse donner la libération. 106) La voie qui conduit à la libération n’est ni celle des ashrama, ni celle de la philosophie, ni celle de la science mais seulement celle de jnana. 107) Il n’y a que le Maître qui puisse montrer cette voie, tout le reste est leurre et tromperie. Seul le Jnana libère. 108) La connaissance suprême du « Un » révélée par Shiva lui-même dispense des rituels et des austérités, elle nous relie directement à la bouche du Maître. 109) La connaissance est de deux types, une provient directement des Shastra et l’autre de la Buddhi. Celle provenant des Shastra prend la forme du shabda-Brahman, celle provenant de la Buddhi prend la forme du Para-Brahman. 110) Certains préfèrent le non dualisme et d’autres le dualisme mais aucun d’entre eux ne connaît Ma Réalité qui est au-delà de l’advaïta et du dvaïta. 111) « Mien » et « Non mien » expriment esclavage et libération. « Mien » est l’esclavage, « Non mien » est la libération. 112) L’action juste est celle qui ne produit pas de lien, la connaissance juste est celle qui donne la libération. Toutes les autres formes d’action ne produisent que la souffrance et toutes les autres connaissances ne servent que les desseins personnels. 113) Comment peut-on parler d’un but supérieur tant que l’on est attaché aux plaisirs sensuels, aux jeux du monde et que les sens sont excités ? 114) Comment peut-on parler du but ultime tant que l’on est l’essoufflement dans l’effort, tant que l’on est le mouvement des pensées, tant que le mental n’est pas immobile et apaisé ? 115) Comment peut-on parler de but ultime tant que l’on s’identifie au corps et à l’ego et tant que l’on n’a pas reçu la grâce du Maître ? 116) On n’atteint pas Jnana en ayant recours seulement aux austérités, aux rituels, aux pélerinages, au japa, aux sacrifices, à la vénération, aux Veda, aux agama et aux Shastra. 117) Ma déesse Bien Aimée celui qui désire la libération doit être conscient en permanence de la Réalité divine et doit se dédier à sa réalisation avec toutes ses forces et dans chaque circonstance. 118) L’humain est affligé par la triple souffrance, il devrait chercher protection sous l’arbre de la libération où fleurissent les branches du dharma et du jnana et dont les fruits sont anandaloka. 119) Alors pourquoi autant de bavardages ? Parvatî écoutes quel est le secret : en vérité et sans aucun doute la voie de la libération se trouve dans le Kula-dharma, la voie pure de l’Energie. 120) Voilà Ma très Chère je t’ai enseigné la vérité. Après l’avoir apprise directement de la bouche du Maître les humains se libèrent sans effort de l’esclavage du monde. 121) Ma Bien Aimée Kuleshvarî maintenant que je t’ai brièvement décrit l’état du jiva que veux-tu savoir d’autre ?
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