Réflexions


 

Eveiller l’énergie, c’est quoi en réalité ?

 

Le yoga est une pratique sur l’énergie. Inutile de le dire, et pourtant. Il est facile de parler de l’énergie à tort et à travers. Et de quelle énergie et de quel éveil s’agit-il ? Est-ce accessible à chacun, est-ce un mythe ? Les textes classiques du yoga indiquent que le but d’une pratique personnelle, d’une sâdhanâ, est l’éveil de l’énergie. Quand il est atteint, ces textes promettent une kyrielle d’avantages allant de la santé à la jeunesse, de la maîtrise personnelle au pouvoir de contrôler ce qui nous arrive, une sorte d’alchimie du karma.

L’énergie, tout le mode en parle, mais qu’est-ce au juste ? Celle dont il s’agit dans les enseignements est invisible pour le commun des mortels, impalpable, inaccessible aux perceptions sensorielles communes. Seules ses manifestations sont observables, pas son essence. Ce que chacun peut en percevoir est uniquement sa forme matérielle, alors qu’elle est immatérielle. Un peu comme la pensée, on peut observer ses symptômes dans le mental sans pour autant saisir sa source et les lois qui régissent son fonctionnement. On sait, pour le constater, que l’on pense, mais nul ne peut déterminer comment et pourquoi. Juste observer, sans vraiment savoir. Les perceptions sensorielles sont adéquates pour appréhender un certain degré de notre vie, le plan concret. Nos sens arrivent à saisir et à comprendre notre corps, comment il fonctionne, la frange visible des processus qui l’animent. Ils sont aptes à cerner ce niveau de l’individu, pas plus. Un peu comme une fumée dont on serait incapable de percevoir l’origine. La part basique et visible de l’énergie c’est la vie. « D’où vient-elle ? » reste sans réponse. Même si l’on peut scientifiquement disséquer les conditions et les réactions favorables ou indispensables à l’apparition et à l’évolution de la vie, on ne va pas plus loin. La vie elle-même est un mystère.

Tout le monde a de l’énergie. Sûrement, plus ou moins. Qui en a assez pour déborder de vie, qui en a juste à peine pour survivre. Chez certains l’énergie circule bien, éveille des qualités positives, et chez d’autres, à l’opposé, elle se disperse, circule mal ou est consommée par des qualités négatives. Selon le yoga, tout le monde aurait à peu près la même quantité d’énergie au départ, la différence se ferait ensuite dans la circulation, dans la fréquence et dans l’étanchéité du circuit parcouru par l’énergie. C’est pourquoi il a comme premier objectif de colmater les fuites qui pourraient s’y trouver.

Certaines qualités « négatives » dispersent l’énergie, d’autres la surconsomment. L’énergie entretient les fonctionnements du corps, de la personnalité et du mental. Lorsque chacun de ces trois éléments fonctionne « normalement », tout va bien, on dispose d’assez de puissance pour vivre sa vie en toute plénitude et harmonie. Si l’un des trois éléments consomme trop d’énergie, la situation se complique pour les autres et pour l’équilibre de l’ensemble. Le plus souvent c’est la personnalité qui disfonctionne, elle vampirise l’énergie, affaiblissant globalement l’individu ou l’une et (ou) l’autre de ses parties. Les qualités actives de la personnalité vont « pomper » ou « stimuler » l’énergie selon qu’elles seront issues du doute et de la peur (pomper) ou de l’héroïsme et de la jouissance (stimuler). En fait ces différentes qualités de la personnalité opèrent une sorte de mutation dans l’énergie, elles vont en changer la fréquence vibratoire. Une même quantité d’énergie aura des effets et une puissance différents selon que sa fréquence vibratoire sera « haute » ou « basse ». Les énergies et les qualités porteuses s’attirent, elles vibrent sur une haute fréquence vibratoire. Les autres comme le doute, la peur et leurs qualités dérivées vibrent à l’inverse sur des fréquences vibratoires basses. Pour intervenir à ce niveau, le yoga n’incite pas à changer les qualités mais plutôt les fréquences vibratoires. En effet, les vibrations éveillent des qualités correspondantes. Par exemple, si quelqu’un dispose d’énergies vibrant sur une fréquence différente de celles qui activent le doute et la peur, aucune de ces deux qualités ne peut se mettre en action en lui.

Le yoga propose donc d’abord d’améliorer l’étanchéité de la structure (le corps énergétique) et le taux vibratoire de l’énergie individuelle pour avoir ou entretenir un fonctionnement optimum personnel, corps/personnalité/mental. Quand ceci est acquis, il est possible de passer à l’autre étape : augmenter l’énergie.

 

1) Etanchéité de la structure énergétique.

C’est la première chose à faire, assurer l’étanchéité du circuit dans lequel circulent nos énergies, faire en sorte qu’elles ne se dispersent plus, qu’elles restent au centre. En effet si l’on désire remplir un récipient et plus encore le mettre sous pression il faut bien, d’abord, s’assurer qu’il n’a pas de fuites, à moins de se prendre pour une Danaïde… mais tout comme celle de Diogène, ces vies de tonneau ne concernent pas notre propos !

Il n’est pas besoin d’être un grand sage pour savoir par quelles « fissures » du corps humain l’énergie peut s’échapper. Il suffit de s’observer dans la vie courante. Si l’on considère le corps de bas en haut on sent des possibilités de faiblesse dans les jambes, à l’anus, dans le ventre, dans la poitrine, dans la gorge, dans les mains, dans la bouche, dans les yeux, à la fontanelle (mais plus rarement). Ces différents points du corps sont en relation directe, par le système des âdhâra, avec la structure énergétique.

Le yoga colmate ces fissures par mudrâ (les gestes), bandha (les contractions), drishti (les fixations oculaires). En pratique sur son tapis, ces techniques sont indispensables autant dans les postures, dans le prânâyâma que dans la concentration, et la méditation bien sûr. On imagine mal l’intérêt de faire des postures, puis des souffles pour se recharger en énergies si ça fuit de partout ! Peu d’énergie dans un récipient étanche est plus efficace que beaucoup dans un récipient troué !

La posture assise correcte élimine les fuites des jambes, la contraction anale (mûla bandha) celles de l’anus, la rétraction abdominale (léger ou puissant uddîyâna bandha) celles du ventre, le son du souffle dans la gorge (ujjâyin) celles du cœur et de la gorge, les gestes des mains (jnâna-mudrâ, etc.) éliminent les fuites des mains, les gestes de la langue (khecharî, jihvâ-bandha, kâkî-mudrâ) celles de la bouche et les fixations oculaires (drishti) celles des yeux.

Voilà pourquoi le yoga classique associe toujours l’ensemble de ces techniques aux postures, aux respirations et aux concentrations. Au bon artiste les bons instruments !

 

2) La circulation de l’énergie

L’énergie circule dans les nâdî - sortes de rivières (ou canaux) subtiles - et dans des confluents de nâdî nommés chakra (centres d’énergie). C’est dans ces derniers que se trouve l’ensemble des qualités humaines, mentales, psychologiques, émotives, héréditaires, mais aussi les connexions avec le corps et ses organes. En fait les chakra sont de véritables centres de commande en relation avec toutes les composantes de l’homme, corps, pensées, mental.

La structure énergétique est plus « volumineuse » que le corps, autrement dit, elle l’enrobe. Ainsi nos énergies circulent-elles à l’intérieur mais aussi à l’extérieur du corps, tout autour. Un bon fonctionnement demande que l’ensemble de ces canaux et de ces chakra soit rempli par notre propre énergie. En effet, cette structure ne peut pas rester partiellement vide. Si ce n’est pas notre énergie qui y circule, ç’en sera une autre, ou d’autres… Dans ce cas santé et équilibre personnel peuvent être compromis.

Pour faire circuler l’énergie le yoga possède un véritable arsenal: souffles, visualisations, mantra, voire postures ! Les techniques les plus usuelles sont celles liées au prânâyâma. Nous allons en donner une description, mais le plus efficace est de les apprendre directement.

Pour commencer précisons les points suivants : les canaux principaux utilisés dans ces techniques sont l’axe central (sushumnâ) et les canaux latéraux (idâ et pingalâ). Les principaux chakra sont mûlâdhâra (la base de la colonne vertébrale), anâhata (le cœur) et âjnâ (le front). Il faut donc trouver des techniques qui purifient et dégagent en priorité ces nâdî et ces chakra. Notons que la colonne vertébrale reste le centre du corps et de l’énergie, l’axe, la sushumnâ.

 

3) Les techniques de circulation de l’énergie

Les techniques qui offrent le meilleur rapport facilité /efficacité sont bhastrikâ pour l’axe central, nâdî shodhana pour les canaux latéraux, kapâlabâthi pour âjnâ chakra, shitalî pour le cœur et mûlabandha pour mûlâdhâra. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive ou unique. D’autres façons de faire sont tout aussi efficaces, l’intérêt de celle-ci réside dans le fait que ces techniques sont usuelles et réalisables même par des débutants.

3.1) Exécution de ces techniques

Bhastrikâ. C’est la respiration du soufflet de forgeron. Ça doit chauffer ! La méthode de base consiste à respirer uniquement avec le ventre, rapidement (+/- une respiration à la seconde), en faisant frotter l’air dans la gorge pour émettre le son puissant de l’ujjâyin, en équilibrant inspiration et expiration et en visualisant l’air qui monte le long de l’axe central à l’inspiration avec le mantra « so » et qui redescend à l’expiration avec le mantra « ham ». Faire le soufflet entre une et trois minutes consécutives, puis une grande inspiration et une rétention à poumons pleins le temps du confort. Recommencer ainsi trois ou cinq fois. Ce souffle s’exécute indépendamment en posture assise ou dans presque n’importe quelle posture.

Nâdî shodhana. La respiration alternée. Elle se fait principalement en assise immobile, donc en prânâyâma. On visualise le souffle qui circule dans les canaux latéraux.

Rythme respiratoire : inspiration 1 temps (par exemple 4 répétitions mentales du mantra « yam » ou « ram ») , rétention les poumons pleins 4 temps (multiplier par 4 le nombre de répétitions du mantra de l’inspiration, soit 16 « yam » ou « ram »), expiration 2 temps (soit 8 « yam ou « ram »).

Exécution : Porter l’index et le majeur de la main droite sur le point entre les sourcils. Poser le pouce sur l’aile droite du nez, l’annulaire et l’auriculaire joints sur l’aile gauche. Pour commencer expirer par les deux narines.

a) Boucher la narine droite. Inspirer par la narine gauche en visualisant à gauche le trajet du souffle de mûlâdhâra cakra à âjnâ chakra. Utiliser le mantra « yam », inspirer le temps d’en dire quatre mentalement.

b) Retenir la respiration à poumons pleins (boucher les deux narines) en restant concentré dans âjna chakra le temps de répéter seize fois le mantra « yam ».

c) Expirer par la narine droite en visualisant à droite le trajet du souffle qui descend âjna chakra à mûlâdhâra chakra le temps de dire huit fois le mantra « ram ».

d) Inspirer à droite par le canal de droite en faisant remonter le souffle durant quatre mantra « ram ».

e) Retenir la respiration à poumons pleins (boucher les deux narines) en restant concentré dans âjna le temps de répéter seize fois le mantra « ram ».

f) Expirer par la narine gauche en visualisant à gauche le trajet du souffle qui descend âjna à mûlâdhâra le temps de répéter huit fois « yam ».

g) Inspirer à gauche, etc.

Terminer sur une expiration par les deux narines après une rétention qui suit une inspiration par la droite.

Kapâlabâthi. Ce souffle purificateur est avant tout un travail d’expiration. Comme si on ne faisait qu’expirer. Il est rapide, entre 100 et 120 expirations à la minute et, dans sa version nettoyage, puissant, sonore, un frottement de l’air dans les narines.

Exécution : prendre une assise, rétracter le ventre, faire mûla bandha, les yeux fermés converger le regard vers le haut, fixer un point lumineux. Expirer très volontairement et laisser se faire une micro inspiration. Ne jamais relâcher le ventre. Faire « vibrer » chaque expiration dans le point lumineux fixé en émettant mentalement le son « Om ». Faire ainsi durant cinq minutes au moins, puis suspendre la respiration en fixant le point et en entendant le son « Om » en continu. Trois séries au moins. Terminer sur une immobilité, toujours concentré dans âjnâ.

Shitalî. Le souffle rafraîchissant. Cette respiration consiste à inspirer par la langue sortie ayant la forme d’un tuyau et à expirer par les narines.

Mûlabandha. La contraction anale. Voilà une technique majeure, les tantriques disent qu’il n’y a pas de yoga sans mûlabandha. Ils ont bien raison. La raison va parfois se nicher où on ne l’attend pas. Rien d’anormal, ce qui est en haut est en bas.

Exécution : simple, très simple. « Il n’y a qu’à » maintenir une légère contraction continue de l’anus, du sphincter externe. Cette technique doit se faire sans discontinuer dans tout le yoga, et mieux encore tout le temps dans la vie.

 

4) Changer les fréquences vibratoires

Il faut d’abord se rendre compte de ses propres fréquences vibratoires. Si l’on se sent trop souvent « raplapla » ou excité c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas tout à fait bien.. L’idéal est de se sentir puissant et serein, calme, en même temps. La fréquence vibratoire est définie par trois qualités, par trois ambiances de l’énergie.

D’abord tamas, la tendance lourde, opaque, inerte de l’énergie, l’immobilité, la non-créativité, celle qui engloutit, qui détruit. On la ressent dans les ambiances pesantes, négatives, pessimistes, le corps est empâté, l’esprit n‘arrive pas à s’en échapper.

Ensuite rajas, la tendance agitée, excitée, mouvante. On la ressent dans les ambiances irritées, dispersées, instables, ces moments où l’on ne contrôle plus rien, où malgré soi le fil conducteur de la vie nous échappe.

Tamas et rajas s’associent volontiers pour faire la vie quotidienne, un fil d’Ariane qui conduit à subir les évènements.

Enfin sattva, la tendance légère, lumineuse, vibrante. On la ressent dans les moments hors du commun, dans les états de sagesse ou de sérénité.

Le véritable équilibre passe par une juste proportion des ces trois tendances qui se complètent et s’enrichissent mutuellement. Tout l’art du yoga consiste à trouver cet équilibre, car aucune de ces tendances n’est meilleure que les autres, c’est leur déséquilibre qui est négatif.

Les postures, utilisées avec des mudrâ, des bandha, des fixations oculaires, des mantra, des visualisations des chakra et du prânâyâma permettent une alchimie intime qui va régler ces différentes tendances, faisant de l’individu un être énergétique équilibré, stable.

Au fil du temps, les postures pratiquées de la sorte vont installer de nouvelles fréquences vibratoires, celles qui permettront de développer et d’entretenir les qualités porteuses de joie, de force et de sérénité. Cette alchimie n’est sans doute pas rapide car la vie et les évènements tendent en permanence au désordre énergétique, mais au long court elle est garante de vrais changements personnels. Chaque posture, chaque manière de l’exécuter apporte sa touche personnelle aux qualités énergétiques mises en place. D’une certaine façon chaque posture joue sur la qualité de l’énergie d’une façon qui lui est propre car elle la baratte et la fait circuler dans les chakra selon un archétype original. Une posture possède donc un ou deux objectifs, qu’elle va traiter à sa manière selon les souffles et les visualisations proposées. Deux postures différentes peuvent avoir des objectifs identiques mais chacune utiliser des portions différentes des chakra ou d’autres fréquences énergétiques.

La méthode tantrique indique tout cela, chaque posture est décrite avec ses variantes de souffle et de visualisation ainsi qu’avec l’alchimie que l’on peut en espérer.

 

5) Augmenter l’énergie

Quand la structure énergétique est étanche, ou à peu près, que l’énergie circule et que les différentes tendances de l’énergie sont harmonisées dans une haute fréquence vibratoire, il est possible d’augmenter l’énergie, sa puissance. Les rétentions de souffle à poumons pleins (antar kumbhaka) et les rétentions de souffle à poumons vides (bahir kumbhaka) seront l’instrument privilégié pour obtenir cette potentialisation de l’énergie. Ces rétentions de souffles se feront dans les postures, dans les prânâyâma et dans les grands mudra.

Ainsi on pourra faire des rétentions de souffle à poumons pleins durant plusieurs minutes, en se concentrant sur un chakra, en utilisant les mantra adéquats et en faisant vibrer l’énergie grâce au souffle selon des règles bien définies. Ceci est un minutieux et passionnant apprentissage, une nouvelle manière de s’autogérer, une façon de créer un contexte intime différent du contexte ordinaire, une forme d’évasion de la prison des comportements stéréotypés de l’espèce. Et le jour où l’énergie se trouve en soi en quantité bien supérieure à la moyenne, on sent un vrai bonheur, une vraie légèreté, une vraie puissance. Autant de qualités qui sont bonnes pour soi mais aussi pour tous ceux qui nous entourent. La bonne énergie est communicative, heureuse découverte. Pour ce qui est de la mauvaise, on le savait déjà…

 

6) Eveiller l’énergie

Quand on est arrivé à développer plein d’énergie en soi, quand cela est stable, presque permanent, le stade suivant est celui qu’on appelle l’éveil de l’énergie. Cet éveil correspond à la mise en route, à la mise à feu, de nos processus subtils. L’énergie qui a été augmentée s’intériorise, se subtilise, et devient de plus en plus puissante. C’est comme la condensation d’un faisceau de lumière qui devient un laser. Ce stade n’est pas inaccessible bien qu’il soit un stade avancé. Nous entendons par stade avancé le fruit d’une pratique régulière étalée sur plusieurs années. C’est peut-être le sommet de l’art, mais tous les artistes savent bien qu’il n’y a pas d’autre secret. Dans l’éveil de l’énergie il n’y a pas de meilleur ou de moins bon, chacun arrive inévitablement au sommet de son propre art et produit le meilleur pour soi, le meilleur en soi. La patience et la ténacité nous le garantissent, ce sont les deux ferments de toutes les œuvres humaines, celles qui sont des exemples, celles qui font rêver, celles qui jalonnent la grande histoire de l’humanité et la vie des individus qui ne se sont pas résignés à n’être que la réplique d’un moule. A chacun ses choix.

 

Christian Tikhomiroff