Banquet de Shiva


   

La posture, premier membre du hatha yoga, en est aussi l'aspect le plus connu. Sa pratique se borne d'ailleurs souvent à cet exercice, débarrassé des contractions, des gestes, des mantra, des respirations et des concentrations. Bien qu'en apparence l'"sana s'adresse plus au corps - pilier central de l'édifice humain - qu'au mental, il n'en constitue pas pour autant la partie la plus importante du hatha yoga. Concevoir les postures comme une simple gymnastique de bien-être, comme un moyen de remise en forme ou comme une thérapeutique revient à limiter leur portée. Elles servent avant tout à conquérir l'énergie et à dompter le mental. Si elles façonnent le corps en lui donnant élasticité et puissance, ce n'est pas dans une perspective uniquement profane; c'est pour qu'il ne soit plus une entrave et qu'il devienne un instrument efficace au service du yogin pour réaliser d'autres plans.

Parfaitement immobile, ce dernier va mouler son corps, son souffle, ses énergies et ses pensées dans une attitude qui ne leur sera pas naturelle. Ce défi à l'agitation ontologique neuro/physiologique lui donnera peut être la possibilité de fusionner souffles, pensées et énergies, au centre de lui-même, dans une unité impersonnelle. Les postures produisent de précieux fruits pour le corps et la santé qu'il faut néanmoins considérer comme une conséquence mineure de la pratique. Les effets réels que l'on peut attendre, lorsqu'elles sont correctement comprises et accomplies, dépassent ces résultats qui paraissent alors dérisoires:

 

"Mettre les plantes de pieds correctement entre les genoux et les cuisses, tenir le corps droit comme un bâton et s'asseoir avec aisance: voilà svastikâsana. Si le sage yogin pratique de cette façon le prânâyâma, son corps n'est plus altéré par la maladie et il obtient vâyusiddhi. Cet "sana est aussi appelé sukhâsana; il détruit toutes les souffrances. Les yogin doivent impérativement tenir secret cet excellent svastikâsana". (Shiva samhitâ, III, 95/96/97).

 

Le corps physique est fondamentalement limité. Ses capacités de perception et d'action le lient aux degrés lourds et opaques de la matière. Il est faux de croire qu'il possède une quelconque autonomie. En effet, il est au service de l'énergie et de la pensée, sous leur commandement. Dans une posture assise, lorsque la colonne vertébrale se voûte, que le yogin la redresse, cet acte volontaire n'est pas de l'initiative, ni même du désir du corps. La prise de conscience et l'énergie ont redressé le dos; ce vouloir leur appartient.

Le comportement habituel des humains est l'agitation mentale qui crée l'agitation physique. C'est la norme, celle de l'individu. Vouloir rompre ce fonctionnement en adoptant une posture immobile devient une attitude contre nature, à rebrousse poil de l'inclinaison innée, faite de mouvement et de trépidance. Le corps obéit aux consignes ou aux impulsions du mental dans l'immobilité comme dans l'agitation. Lorsqu'une partie de l'activité ou des connections mentales disparaît dans le sommeil ou dans le coma le corps peut rester immobile. Mais cette immobilité reste inutilisable car elle est inconsciente.

L'âsana va donc instaurer volontairement une relation d'immobilité entre la pensée et le corps. Cette relation nouvelle, atypique, permettra d'entrer dans une structure inconnue et sera un moyen de connaître et de contrôler le mental. Le corps peut alors devenir un champ d'expérience que la posture va configurer et dans lequel elle créera sa propre règle du jeu. Analogiquement, ce qui sera vécu dans cette pratique ouvrira une connaissance similaire dans d'autres formes d'expériences vitales, particulièrement celles de la personnalité dans la vie quotidienne. En effet, être en difficulté dans une posture ou dans une situation personnelle revient au même. Des automatismes, des réactions identiques se produisent mettant à jour les fonctionnements personnels. La posture qui révèle ces modalités identiques d'action des énergies et des processus mentaux ou psychologiques devient un moyen d'accès privilégié pour modifier ce qui doit l'être, principalement quand il s'agit d'états réactifs liés à la peur, au doute ou aux susceptibilités.

 

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